Argumentaire :
Henri Derée (1888-1974), un architecte bruxellois, est fait prisonnier au début de la Grande Guerre. Il passe toute la durée de celle-ci dans quatre camps près de Hanovre (Munsterlager, Hameln, Göttingen, Cassel). En juin 1918, physiquement épuisé, il est interné à Aeschi en Suisse. Pendant toutes ces années, Derée ne cesse de dessiner la vie dans les camps, il croque les prisonniers belges, russes, anglais, italiens, illustre les tâches quotidienne, les corvées et les passe-temps, l’attente des captifs, l’architecture et les saisons, l’intérieur des baraques et des lazarets, les barbelés, les ambiances diurnes et nocturnes… Il rapporte avec lui quelque deux cents originaux (dessins, aquarelles, pastels, huiles) qui vont dormir pendant un siècle parmi ses archives professionnelles. Localisés, datés et souvent annotés, ces documents ont un indéniable intérêt historique d’autant plus que pendant longtemps les prisonniers de guerre, bien qu’ils fussent victimes d’exactions et de souffrances, furent écartés des commémorations nationales qui exaltaient le sacrifice des combattants. Ce rare témoignage illustré a aussi une extraordinaire valeur artistique. Dessinateur et architecte de talent, Derée a rendu d’une manière unique l’atmosphère des camps dans des œuvres aux traits sensibles dont les coloris expriment tantôt l’angoisse, le spleen, le temps qui passe et des cadrages souvent cinématographiques. Des œuvres souvent visionnaires, hallucinées, expressionnistes, à l’image de celles qui illustrent une crise d’épilepsie, la chasse aux poux, des visages de russes et d’italiens ou encore les vues des camps sous la neige à la lumière de la lune. Lors de sa convalescence en Suisse, la palette de Derée vibre et s’éclaire au contact des paysages de montagne qu’il dote de couleurs éclatantes, une revanche sur la nuit des camps. Libéré, Derée poursuivra une carrière professionnelle de premier plan, s’investissant notamment dans le logement social et dans la réalisation de nombreux monuments commémoratifs.
Les auteurs :
Dessins de Henri Derée
Texte de Maurice Culot, architecte urbaniste à Paris, diplômé de La Cambre.